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Frachet Roger Vailland
31 janvier 2013

Facettes de Roger Vailland

Roger Vailland, itinéraire de la souveraineté

L'analyse de Christian Petr et de Jean Sénégas
 
 
L'écrivain et la résistance de Christian Petr

Sous ce titre, Christian Petr analyse la relation entre Roger Vailland et l'écriture à propos de son roman Drôle de jeu. Ce roman « retient par la singularité manifeste de son abord de la lutte clandestine. C'est en effet l'un des rares romans français à retracer sur le vif l'expérience d'un résistant. » C'est une fiction mais les personnages empruntent à la réalité qu'a connue Vailland tout en étant différents, c'est un itinéraire intérieur pour Vailland dans le continuel va-et-vient entre présent -le temps de l'Occupation- et passé -réminiscence des souvenirs des années trente. « Expérience subjective et expérience historique, note Christian Petr, portant résolution des contradictions de Vailland avant-guerre par l'accord entre sa vie individuelle et la lutte collective. »

Son isolement passé, la thématique de ''l'homme seul", l'usage du pseudonyme se transcendent dans le combat collectif. Cette transcendance fait que le négatif se métamorphose en positif, les impératifs de la sécurité obligent l'homme nouveau à se maîtriser, à recourir à une grande sobriété et une grande chasteté. « Les jeux de la clandestinité, la discipline quotidienne du résistant, l'accomplissement de la libération nationale sont autant de faits concrets et symboliques constitutifs de rituels d'initiation à l'histoire. »

Cette osmose entre destin personnel et sens de l'histoire, en liant le sort de l'homme et de la révolution, écrit Christian Petr, « résout l'alternative propre aux révolutionnaires de l'époque : changer l'homme ou changer la société. » Cependant, Vailland est conscient de ses limites : « Je suis fils de bourgeois.Je lutte contre ma classe de toutes mes forces, mais j'ai hérité de ses vices, j'aime son luxe, ses plaisirs. » Il se sent comme un quelqu'un de trop dans un tableau, un personnage qui n'aurait aucune utilité.

Le roman est aussi cet essai avorté qu'il écrivait avant d'entrer dans la Résistance. Il en reprend les thèmes, les méditations sur la vie, la mort, la liberté, l'amour et les intègre dans le roman. « Le savoir éthique, philosophique et politique de l'essai projeté est ainsi devenu le point de départ du roman à construire » ajoute Christian Petr. Le découpage de l'essai a d'ailleurs fort influencé la structure du roman, découpé en cinq journées basées sur un thème de réflexion indiqué par la phrase mise en exergue. Ainsi Vailland maîtrise sa pensée et la place au centre de son travail d'écrivain. « C'est bien le savoir ainsi fixé qui le fait devenir écrivain » résume Christian Petr. Pour lui, Drôle de jeu est un événement pour la littérature, « l'apparition d'un écrivain marquant » et un « événement pour la théorie de l'individu, fondateur d'une découverte anthropologique. »

Cette recherche d'osmose entre destins individuel et collectif « fait l'originalité essentielle, souvent méconnue de Drôle de jeu et le distingue des autres romans français sur la Résistance. » Pour Christian Petr, cette démarche est toujours aussi opérationnelle même si les conditions socio-économiques ont largement évolué depuis l'écriture du roman.

L'écriture de Vailland par Jean Sénégas

Cette étude intitulée Paradoxe sur l'écrivain est parue dans Lecture de Roger Vailland publiée aux édition Klincksiek en 1987. Roger Vailland aimait beaucoup Diderot où, nous dit Sénégas, il puisait des citations, par exemple l'expression la distinction de soi d'avec soi empruntée au Paradoxe sur le comédien. Pour Vailland, ça ne concernait pas seulement les comédiens mais les héros de Stendhal ou de Baudelaire. Mais curieusement, Vailland ne la met pas en pratique dans son travail d'écrivain. [1]

Pour lui, l'écrivain est comme un sportif qui doit être en forme au moment de l'épreuve. Il prône une discipline du corps -chasteté et sobriété- et une discipline de pensée dans le recherche du mot juste, la maîtrise technique demandant une grande vigilance critique. C'est un homme de méthode : « le narrateur de Beau masque ou de 325.000 francs accompagnait les personnages, expliquait les arrière-plans de leurs actions, généralisait. »

Avec La Fête, la donne change, entre la forme et l'éveil s'articule désormais des conditions moins formelles, la chance et la grâce. [2] Mais après le traumatisme de 1956 et la rupture avec le stalinisme, particulièrement avec ses deux derniers romans La Fête et La Truite, la vision de Vailland a largement évolué. Prendre du recul devient pour lui plus compliqué. « La Fête nous dit Jean Sénégas, propose une nouvelle donne [...] elle est l'instrument d'une reconquête de soi. » Aucun repaire, même celui de Meillonnas n'est à l'abri des échos du monde. [3]

La forme de l'écrivain est toujours nécessaire, elle demeure toujours un préalable à l'écriture, « Duc se sentit léger comme il ne l'avait pas été depuis plusieurs mois. » Un roman, c'est pour Vailland d'abord quelques images qui frappent son imagination puis décors et personnages se mettent peu à peu en place et le hasard diminue. Pour La Truite par exemple, il précise : « Le soir du bowling, j'avais pensé qu'il était possible qu'une action commençât. » C'est le récit d'un autre personnage Saint-Genis qui finit par déclencher le mécanisme d'écriture, explique Vailland dans La Truite, expliquant pat là même sa propre démarche. Il ajoute : « Autant que je comprenne, sa réflexion ne procède pas par association et dissociation de concepts. » Il joue en fait avec les images -les scènes qu'il 'voit'- en les superposant jusqu'à obtenir une image parfaite. C'est ce qu'il appelle "peser un personnage", pour Frédérique son héroïne, « faire le poids de sa singularité. » À partir de ce moment là, il peut commencer à écrire. [4]

Au-delà de la métaphore de la truite, ce qui est important pour Vailland c'est de « la saisir dans sa singularité. » Elle incarne quelque chose de l'ordre de l'impossible, quelque chose qui rejoint ce que Vailland appelle « la totale liberté dans la totale nécessité », [5] "la distraction de soi d'avec soi".

  

Les roamns de Vailland                              Roger et Elisabeth

Voir aussi
  • La transparence et le masque, Max Chaleil, revue Europe, 1988
  • Roger Vailland un homme encombrant, Alain-Georges Leduc, éditions L'Harmattan, 2008

Articles

  • Lecture de Roger Vailland, Colloque de Reims, Bibliothèque du XXème siècle, 1990, 233p
  • Le magazine littéraire n°294, Un drôle de jeu par Jacques-Francis Rolland, 1991
  • Revue Entretiens n°29, sur Roger Vailland, 1970
  • Roman 20/50, revue d'étude sur les romans du 20ème siècle : Roger Vailland, étude de "Drôle de jeu", de "325.000 francs" et "La truite" , sous la direction de Marie-Thérèse Eychart, n°35, juin 2003
  • Cahiers Roger Vailland n°1, article intitulé : Action, libération : un drôle de jeu, 12/1994
  • Joueur impénitent, article de René Ballet, Les Lettres Françaises, septembre 2005
  • Le vêtement féminin dans les romans de Roger Vailland, Élizabeth Legros, 2008, site Roger Vailland
  • Quel roman français de la guerre en 1945 ? Le cas de Drôle de jeu de Roger Vailland, communication de Clément Sigalas, site Roger Vailland, Le cas de "Drôle de jeu"

Références

[1] Voir son essai À propos de l'œuvre de cruauté, sur la distraction de soi d'avec soi, comme source du sublime, essai inséré dans son recueil Le Regard froid

[2] Duc, le héros de La Fête parlera de « forme, chance et l'extrême éveil qui est la point de la grâce. »

[3] Son ami Égyptien le poète Kemal est alors emprisonné et torturé : « La fraternité du combat survit au combat, écrit-il dans La Fête. »

[4] Il écrit aussi dans La Fête : « ... ce qu'il voudrait, c'est faire le poids exact de Lucie, en pierre.» ('en pierre' car il visite alors une carrière de pierre)

[5] Voir dans Le regard froid : À propos de l'œuvre de cruauté page 92

           <<<<<<<<<<<<<<<<<< Christian Broussas - Feyzin - août 2011 - <<<<<< © • cjb • © <<<<<<<<<<<<<<<<<< 

 

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