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Frachet Roger Vailland
6 mars 2013

Roger Vailland, drôle d’après guerre

    Vailland en mars 1951

1945, Roger Vailland a fait ce qu’il devait faire dans la Résistance, son orgueil cornélien satisfait, mais pas question pour lui de médailles ou de rempiler dans l’armée régulière. Il reprend son errance de journaliste dans les fourgons de la Première armée française de De Lattre de Tassigny. [1] mais plus pour France-Soir maintenant, pour les journaux communistes issus de la Résistance, surtout le journal Action.

 Finis les articles de circonstance comme celui sur le préfet Chiappe qui déplut si fort à André Breton, finis désormais « phrère François » du Grand Jeu, les pseudos d’un double jeu, d'une double face, Etienne Merpin ou Georges Omer, il est désormais Roger Vailland bientôt auréolé d’un prix Interallié décerné en 1945 pour son premier véritable roman Drôle de jeu. [2] Un roman plus sur Roger Vailland que sur la Résistance, ses héros comme deux facettes de lui-même, moitié libertin tel ce Lamballe-Marat [3] auquel il réglera son compte dans "la suite" Bon pied bon œil [4], moitié communiste tel ce Rodrigue au nom si lumineux, un pur prêt à avaler bien des couleuvres aurait dit son ami Claude Roy qu’il rencontre justement à cette époque. Finie aussi l'amour-passion dévorant avec Andrée Blavette dite Boule, sa première femme à laquelle il réglera également son compte dans son deuxième roman Les mauvais coups.

 En vue du pont de Remagen [5], un officier américain contemplant le pont bombardé, dit par bravade : « Alors, on y va ? » Roger Vailland, plus cornélien que jamais, le « regard froid » [6] de l’homme d’acier, traversa le pont un stick à la main, ralentissant soigneusement ses pas sous les bombardements. [7] Une façon aussi de marquer auprès des américains « sa singularité d’être Français ». [8]

Il retrouvait à Paris ses amis, Jacques-Francis Rolland [9] et Claude Roy qui dit de Vailland qu’il avait de belles mains, expliquant doctement à ses copains la stratégie des opérations comme son modèle, le général d’artillerie Laclos, « l’aristocrate passé aux Jacobins, avec le goût de la mathématique, sa culture, son brillant et la séduction des belles manières de la cour, légèrement soufrés de libertinage désinvolte. » [10]

 En visite au Sacro Monte à Varese près de Milan avec Claude Roy, Roger Vailland grinçait devant cette foule en prière chantant des cantiques, « montant à genoux le sentier en se déchirant les genoux au dallage de galets pointus. » Il hochait la tête, désapprobateur devant ce spectacle qu'il trouvait désolant.

 Avec Claude Roy, Roger Vailland marchait à l’amble, tentant de « résoudre leurs contradictions intérieures en même temps, et au même pas, que celles de la société. » Roger, toujours imprévisible, avait dégoté Zora, une brésilienne communiste et un peu sorcière, assez fofolle pour sacrifier des poulets censés conserver son amour. Il était à la fois athée, maniant la dialectique, citant Descartes à Rome sur la Piazza Navona et deux heures plus tard, se faisant tirer les cartes dans sa chambre par Lucia.  Ils croyaient tous deux que la Révolution viendrait d’Italie, ce pays si contrasté entre misère et richesse, « Vésuve de contradictions. » Pour les élections d’avril 1948, le trio Vailland, Roy, Courtade s’était reformé, prenant le petit déjeuner dans le kiosque-café de la Villa Borghèse, se retrouvant dans la chambre de Roger au cinquième étage de l’hôtel d’Angleterre, dînant sur les terrasses de Trastevere. Immense tristesse quand le 18 avril, le Fronte democratico populare fut battu aux élections législatives.

Pour comprendre les sentiments de Vailland après la rupture radicale de 1956, entre déstalinisation et événements de Budapest, et ses conséquences sur ces hommes d’engagement, il faut se référer à son ami Claude Roy qui écrit qu’alors l’exclusion, la démission ou l’éloignement « frappaient de terreur ou de chagrin ceux qui la subissaient. » Sidération de Vailland quand il revint de Prague et prit connaissance, d’abord incrédule puis désespéré, de l’intervention de Krouchtchev au XXème congrès du PCUS. Alors, dans un acte symbolique,  il décrocha de son bureau le portrait de Staline. Sa 'saison' communiste s'achevait.


Roger Vailland correspondant de guere 1944-45

Notes et références 

[1] Voir ses livres témoignage La dernière bataille de l'armée
De Lattre
, Paris Ed. du Chêne, 1945 et La bataille d'Alsace, Paris Jacques Haumont, 1945
[2] D’après Vailland lui-même, Drôle de jeu n’est pas un livre sur la Résistance, ni l’histoire d’un réseau [3] de résistants qui témoignent de leur action, ni une vision personnelle de la France occupée. (voir l’avertissement qui ouvre le roman)
[3] Personnage double, issu d’un libertin débauché Louis Alexandre Stanislas de Bourbon, prince de Lamballe (1747-1768) et de Jean-Paul Marat le révolutionnaire dont il écrivit aussi un essai inachevé "Marat-Marat", paru aux éditions Le Temps des Cerises en 1995
[4] Bon pied, bon œil : «mes adieux à la culture bourgeoise, » écrit Roger Vailland dans ses Écrits intimes le 24 mars 1950. Et il ajoute : « Ma position relativement en marge pendant ce deuxième 'entre-deux-guerres' (...) n'est plus tenable aujourd'hui. Dans les circonstances actuelles, il n'est plus possible pour moi comme pour toi d'écrire autrement que dans une perspective communiste. » (Lettre à son ami Pierre Courtade)
[5] Le pont de Remagen en Allemagne, fut le dernier pont intact qui enjambait le Rhin durant la phase finale de la Seconde guerre mondiale, conquis par les Alliés le 7 mars 1945.
[6] C'est en exergue de son essai « Esquisse pour un portrait du vrai libertin » que Vailland place cette citation de Sade : "Il posa sur moi le regard froid du vrai libertin," qui sert de titre à son recueil paru en 1963 et qui sera aussi reprise dans la monumentale biographie que Yves Courrière lui a consacrée
[7] Voir "Nous", Claude Roy, tome II de son autobiographie, pages 75-76
[8] Voir ma présentation de son essai intitulé Quelques réflexions sur la singularité d'être français,
[9] Voir son livre-témoignage intitulé Un dimanche inoubliable près des casernes paru chez Grasset en 1984
[10] Voir "Nous", Claude Roy, tome II de son autobiographie, page 120

           Vailland et le roman

* Quelques fiches de lecture sur les œuvres deVailland :
- Drôle de jeu, Le Regard froid, Quelques réflexions sur la singularité d'être français

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