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Frachet Roger Vailland
31 janvier 2013

Roger Vailland, itinéraire de la souveraineté

Roger Vailland, évolution, libertinage, souveraineté

De la souveraineté

En même temps que l'horreur de la guerre, Roger Vailland découvre la duplicité des adultes. Il a douze ans à la fin de la guerre, au moment où sa famille déménage à Reims. Il se sent trahi par ce père, cette mère qui lui a tant vanté la France, la famille, l'armée, par cette société arc-boutée sur le nationalisme, le dévouement, le sacrifice. Déception et rébellion, révolte menant au rejet des valeurs et au surréalisme. « Les surréalistes,furent écrira-t-il dans Réflexions, furent en leur temps le sel français de la France. Ils poussèrent l'irrespect jusqu'à ses plus extrêmes limites. »

         

Désenchantement des années 1930 dont il donne un aperçu dans Drôle de jeu : « Enfants de la bourgeoisie fréquentant les écrivains et les artistes, trouvant sans trop de difficultés l'argent nécessaire pour les soûleries de Montparnasse et les voyages d'amour dans les Maures ou en Corse, ignorant encore l'humiliation de vendre son temps contre un salaire, de faire un travail qu'on n'aime pas dans l'unique but de passer à la caisse. » (cf Drôle de jeu page 16)

En 1942, la Résistance va le réconcilier avec lui-même et lui permettre de trouver sa place dans la société, d'aller l'amble avec elle. Dès lors, l'homme souverain doit rester maître face aux dénonciations, à l'arrestation, à la Gestapo, face aussi à l'amour, le libertin et la maîtrise de Valmont face à la possession qui humilie et mène à l'esclavage. Germain, le second de Duc à l'époque de la Résistance, résiste à la Gestapo, à la douleur absolue, à la torture. Le bolchevik aussi va ensuite pour Roger Vailland incarner une forme de résistance. Beau Masque va y laisser la vie et Busard, malgré son obstination, à cause de son individualisme, un bras.

Après 1956, il revint à un certain esthétisme, exaltant « la bande des co-mourants » dans La Fête, évoquant un « club idéal qui ne grouperait que des êtres de même qualité, selon leur affinité, » ces Affinités électives de Goethe dont il parle dans ses Écrits intimes. (voir Gobineau, préface aux Pléiades, livre de poche, page 7) Dans La Truite, il fait référence aux deux amies de la bande qui ont trouvé calme et sérénité, Mariline « toujours en train d'imaginer quelque chose qui pourrait rendre heureux ses amis, » Clotilde devenue « un cœur tendre et une nature sensible. »
(voir La Truite, édition Folio, page 282)

Lors de la parution de La Truite, Roger Vailland déclare dans une interview aux Lettres françaises : « J'entends par souverain, le souverain de soi, ce qui implique une réflexion, un mûrissement et un équilibre entre soi et la société, ce qui au passage est impossible dans une société de lutte des classes. »

Le couple Vailland colleur d'affiches

De l'évolution

Roger Vailland ressemble souvent à ce portrait cursif qu'en dresse Max Chaleil : « Visage à l'emporte-pièce, buriné et aigu comme une lame, qui vous fixe et se fixe, impitoyablement. » Ce visage a une histoire et une histoire mouvementée : beaucoup de luttes et d'affrontements avec les autres et avec lui-même. Il est le produit de l'écriture et du journalisme, des nuits blanches et des voyages sur pratiquement tous les continents, de ses rapports conflictuels avec son milieu, des incompréhensions sur la signification de son œuvre, y compris avec La Truite. Son œuvre est le fruit de tout ça et concernant sa personne, de son instabilité et de ses contradictions qu'il tente de surmonter ou en tout cas, de concilier au mieux.

Il aura retenu de son maître Arthur Rimbaud que la poésie ne se mesure à tant à l'aune des mots qu'à celle des actes accomplis : « Rimbaud sera le guide car il fonde cette poésie agissante que le jeune Vailland revendique. » Vailland va voir ses deux amis René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte sombrer dans la drogue et la maladie pour en mourir en 1943-44, à l'âge de 36 ans : cette dérision des mots est aussi un élément essentiel qui explique ses difficultés à écrire jusqu'à Drôle de jeu.

Il rejette la grisaille de la vie quotidienne, sera noctambule libertin, engagé dans la Résistance puis dans le communisme, à la recherche de l'homme de qualité. Il aime changer de peau et sera vu très différemment selon qu'il est militant du parti ou le bon maître retiré à Meillonnas, en même temps lucide et plein d'illusions. En fait, il essaie de tendre vers l'unité, « Aux Allymes autour de la politique comme à Meillonnas plus tard, autour de l'écriture, toujours obsédé par cette même exigence : être souverain. »

La saison communiste s'achève sur un échec. Il le reconnaît lui-même dans ses Écrits intimes où il confesse : « Il est absurde et criminel envers soi-même de donner à l'histoire plus qu'elle n'est capable de vous rendre, soi-même vivant (si on ne croit pas au paradis, à l'enfer...)  » La souveraineté est sa réponse, assistée par le regard froid de cet homme souverain. Ultime pied de nez à l'Histoire et à ses exégètes, il écrit peu avant sa mort cet Éloge de la politique qui brasse les cartes avant une nouvelle donne que la mort interrompra. Il n'ira pas en Amérique du Sud comme il en rêvait alors, à la recherche d'un Nouveau bolchevik caché quelque part dans la forêt amazonienne ou dans les montagnes de Bolivie.

Du libertinage

Si Roger Vailland eut un penchant pour le XVIIIe siècle, ceci tient essentiellement à son goût du bonheur, « on trouve au milieu du XVIII ème siècle une conception internationale du bonheur  » écrit-il dans son Éloge du Cardinal de Bernis, et est dû également à des hommes qui se sont affirmés contre la hiérarchie et les préjugés de leur époque.

Des aventuriers comme Casanova qui donna parfois un coup de pouce au destin, un homme libre, athée, à la prose nerveuse car « le ronronnement de la prose est un défaut essentiellement bourgeois » écrit Vailland dans Quelques réflexions sur la singularité d'être français.

Des hommes de pouvoir tels que Choderlos de Laclos ou le Cardinal de Bernis qui furent au début de leur carrière des hommes de plume. Par sa seule volonté, Bernis s'imposa dans une société statique qui ignore le brassage social. Bernis est trop pauvre pour accéder à la carrière des armes. « Laclos était un affreux besogneux que son petit nom et son absence de fortune contraignirent à faire carrière dans les garnisons de provinces. » Les Liaisons dangereuses, critique virulente de l'aristocratie, vont dès leur publication, largement le desservir. Heureusement, la Révolution vint redistribuer les cartes et favoriser Laclos. Dans son essai biographique Laclos par lui-même, Vailland monte bien les difficultés qu'a rencontrées Laclos avec l'aristocratie dirigeante de l'armée.

Le libertinage souverain de La Fête avec Lucie, parfaite mise en application de la méthode initiée par le couple Valmont-Merteuil des Liaisons dangereuses laissera place à la fin de sa vie, à une réflexion dont il dit dans Les Écrits intimes : « Je crois que je serais maintenant capable d'écrire un livre sur moi-même, ce qui à mon âge et après mes précédents livres, est bien le comble du détachement de soi. »
(Écrits intimes, éditions Gallimard page 483)

Culture et souveraineté

Pour un intellectuel communiste tel que l'a été Vailland à une époque, se posait la question de savoir s'ils suivaient la ligne du parti, c'est-à-dire les préceptes du réalisme et d'être un écrivain au service du peuple. Vailland a plutôt abordé la question de façon détournée dans De l'amateur par exemple, qui ne paraîtra dans Le regard froid qu'en 1963, « Les socialistes n'ont pas encore eu le temps de broyer assez de couleurs pour s'apercevoir que ce qui est réel, ce n'est pas le modèle. C'est la peinture.  »

Dans Le Surréalisme contre la révolution, il différencie la culture populaire, le respect de l'ouvrier pour les grandes œuvres comme La Joconde et la culture bourgeoise, à laquelle il appartenait alors, qui n'hésitait pas à affubler La Joconde d'une paire de moustaches. Il remplira en tout cas la première obligation du bon intellectuel communiste rappelée par François Billoux dans La nouvelle critique en 1951 : son premier devoir est de militer.

Vailland n'aborde quasiment pas la question du réalisme socialiste, même dans Expérience du drame où il prend essentiellement le contre-pied des thèses de Bertold Brecht. Sur le plan doctrinal, il est en phase avec la ligne officielle du Parti, tel qu'il le précise dans ses Écrits intimes : « Il faut avoir l'audace de dire qu'il n'y a pas de culture en dehors du peuple. » (page 194) ou encore « Dans les circonstances actuelles, il n'est plus possible pour moi comme pour toi, d'écrire autrement que dans une perspective totalement communiste. » (page 271, lettre à Pierre Courtade).

Intellectuellement, Roger Vailland adhère bien aux thèses du Parti mais c'est à partir de sa propre expérience et sans aucune recherche de caution qu'il écrit 325.000 francs et Beau Masque. Sa démarche de romancier correspond simplement à ses préoccupations de l'époque et à son activité de militant. Il reste lui-même, dans ses choix de thématiques, libre et souverain. Christian Petr définit bien cette problématique dans un article paru dans la revue Europe : « Beau Masque et 325.000 francs sont la proposition et la mise à l'épreuve d'une éthique de la souveraineté qui reste indissociable du combat politique des communistes. » Ses derniers romans intégreront cette éthique de la souveraineté en intégrant ce retour à l'individualisme propre à cette période.

Voir aussi
  • La transparence et le masque, Max Chaleil, revue Europe, 1988
  • Roger Vailland un homme encombrant, Alain-Georges Leduc, éditions L'Harmattan, 2008
  • Article de MN Rio A la recherche du bonheur --

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