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Frachet Roger Vailland
22 mars 2024

Roger Vailland, Un écrivain au service du peuple

Référence : Jean-Pierre Tusseau, Un écrivain au service du peuple, Éditions Debresse, 115 pages, 1976

Difficile de parler de Roger Vailland, de cerner ses différentes facettes car a écrit Jean-Jacques Brochier, l’un de ses biographes, « il était ou n’était plus surréaliste, parce qu’il était ou n’était plus communiste, en un mot parce qu’il faisait peur (aux critiques). » [1]

Ancien surréaliste avec le mouvement Le Grand Jeu et les dérives addictives qui le poursuivront toute sa vie,  allergique à certains milieux de gauche qui lui reprochaient ses origines bourgeoises, ancien communiste pas vraiment orthodoxe et pas vraiment admis, libertin, jaloux de sa « souveraineté » comme il disait. Une Lucidité prédictive qui lui fera dire : « C’est formidable ce que la dégradation d’un certain truc qui fut tellement important de 1919 à 1956, s’accélère. Les Cathares, ou je ne sais quoi, furent peut-être aussi importants en leur temps. Peut-être que dans quelques siècles, on n’en saura pas davantage du communisme. » [2]
Roger Vailland a ainsi cumulé les handicaps… et s’en fichait.

1- Le Grand Jeu ou la recherche des sensations
« On n’a pas impunément vingt ans en 1928 » écrit Roger Vailland dans Drôle de jeu, surtout quand on a comme lui passé une partie de sa jeunesse à Reims où son père, géomètre, était venu réparer les outrages de la guerre. Roger adule Rimbaud, respire Rimbaud et ses paradis artificiels,  rebelle comme lui, comme ses copains de leur groupe surréaliste, Le Grand Jeu, dont René Daumal et Roger Gilbert-Lecomte, confinés, qui manquent d’air dans cette ville bourgeoise où ils s’ennuient. La Poésie et ses excès comme seule « Voie royale. » Leur but : « Faire la Révolution par la Poésie… La Poésie au pouvoir, cela n’exige pas de capitaux. » [3]

Toujours dans Le regard froid, Roger Vailland se remémore cette époque d’ados qui se cherchent, à l’étroit dans cette société qui les attire par ses paillettes et qu’ils rejettent en même temps, trop orgueilleux pour s’y attacher, revendiquant le titre de "souverain".
« Les voies de l’Esprit nous restaient ouverte, qui nous permettaient de nous égaler aux riches… de leur donner des leçons. Aujourd’hui, le mot Esprit me soulève le cœur. »

attendant, il faut réveiller Reims, la belle endormie, utiliser « la pratique systématique du scandale. » [4] Une révolte plutôt bon enfant cependant, pas de quoi inquiéter le pouvoir local, recherchant en tout cas, à travers une fascination pour le suicide selon l’idée que rien n’a d’importance, le « dérèglement des sens » cher à Rimbaud.

Roger Vailland apparaît alors comme « un garçon frêle et doux, assez timide » féru de Paul Fort, publiant se premiers poèmes dans une petite revue régionale. Robert Brasillach, son condisciple à Louis-le-Grand, le décrit comme « un garçon au visage osseux, aux cheveux longs, volontiers porteur d’une pèlerine qui lui donnait un air byronien… un Lafcadio de Gide incarné. » [5]

Avec la publication du premier numéro de la revue Le grand jeu en juillet 1928, le cercle des "phrères simplistes" s’agrandit avec Max Jacob, Robert Desnos qui va l’aider à devenir journaliste ou le poète tchèque Richard Weiner qui l’invitera chez lui en Tchécoslovaquie en mars 1927. [6]  Vailland écrira dans ce numéro deux articles  consacrés à la dénonciation du colonialisme [7] et à la "bestialité" d’Henry de Montherland. Dans le numéro suivant,  il écrira bien sûr un article intitulé "Arthur Rimbaud ou guerre à l’homme".

La mauvaise humeur et l’esprit vindicatif d’André Breton peu habitué à la liberté gouailleuse de ces jeunes gens qui se fichaient pas mal de rendre hommage au "pape du surréalisme", se traduira par des attaques contre les "phrères simplistes" et la mise en cause retentissante de Roger Vailland.  Sans doute celui qu’il craignait le plus, à la plume acerbe et sans concessions et qui servira surtout de bouc-émissaire pour faire rentrer les  "phrères simplistes " dans le rang.

Vailland colleur d'affiches

Roger Vailland et Georges Omer

À l’origine, un prétexte assez futile monté en épingle par Breton et quelques-uns de ses amis mais objet d’un retentissement médiatique considérable comme en a le secret le monde littéraire : un court article intitulé  "L’hymne Chiappe-Martia" paru dans le journal Paris-midi. Un article sur une banale histoire d’inauguration sans intérêt de Jean Chiappe, le préfet de Paris, personnage à poigne et considéré comme très à droite.

Vailland, victime collatérale de l’intransigeance doctrinale de Breton qui en profitera aussi pour purger son mouvement des  "éléments suspects" remuants, pas toujours dans la ligne de son idéologie [8] Convoqué dans les locaux de la rue du Château, il se défendit maladroitement et son sort fut vite scellé, ne trouvant guère d’avocats pour prendre sa défense. Il eut beau faire le fier, Vailland encaissa  "vaillamment"  le coup et s’effaça sans faire d’éclats après ce procès  "stalinien". Ce qui l’atteignit le plus fut sans doute l’attitude des  "phrères simplistes "qui capitulèrent devant l’intransigeance de Breton.  

Vailland quitta le mouvement par la petite porte, sans commenter cet épisode, ne l’évoquant du bout des lèvres que devant sa sœur Geneviève. [9]
Il n’y revint que bien plus tard, souvent par petites touches, devenant dans un roman de 1951, ce "jeune homme seul"  qui ressent « l’amertume et le désespoir qui sont le lot des excommuniés »  [10] ou qui éprouve « ce sentiment de honte consécutive à toute excommunication. » [11]
En 1947 dans un court essai en forme de pamphlet  au titre sans ambiguïté,
Le surréalisme contre la Révolution, il revient sur l’évolution  du surréalisme, ses limites, son anachronisme progressif  avant de conclure qu’il prônait beaucoup plus la révolte que la Révolution.

Cette double vie commençait de toute façon à lui peser, coincé entre Roger Vailland le surréaliste et Georges Omer, le nom de plume du journaliste.  Libéré en quelque sorte de ce double écartelé mais dépressif après ces événements, s’adonnant à la drogue pour surmonter son mal être.
Dans ces conditions, le début des années 30 est morose, il vit en creux, s’obligeant  à jouer au journaliste, pensant toujours à Rimbaud.
Une période grise comme il en connaîtra d’autres.

Et justement, clin d’œil du destin lui semble-t-il, on lui propose un voyage en
Éthiopie pour couvrir le couronnement de l’empereur Haïlé Sélassié. Le voilà lancé sur les traces de son cher Rimbaud, « j’irai en Afrique comme Rimbaud, je fonderai un royaume comme lui » dira son héros Eugène-Marie Favard quelque vingt ans plus tard. [12]
Mais l’aventure tant espérée va rapidement tourner court, son commanditaire ayant fait faillite. Il en revient « désenchanté » et sans projet. C’est, comme il l’écrira plus tard assez désabusé, « la part de hasard sur laquelle s’articule une vie. » [13]


Notes et références
[1] Jean-Jacques Brochier, Roger Vailland, tentative de description, page 12
[2] Écrits intimes page 802, novembre 1964
[3] Le Regard froid p. 121-124
[4] Le surréalisme contre la Révolution p. 26
[5] Lafcadio, personnage d’André Gide dans Les caves du Vatican, qui pose le problème métaphysique de l’acte gratuit, comme le faisaient les membres du grand jeu.
[6] On peut en dire le récit dans son livre Lettres à sa famille
[7] « Nous sommes avec les noirs, les jaunes et les rouges contre les blancs. Nous sommes avec tous ceux qui sont condamnés à la prison pour avoir eu le courage de protester contre les guerres coloniales. »
[8] On peut par exemple citer  parmi les plus connus Antonin Artaud, Robert Desnos ou Georges Bataille
[9] Voir aussi mon article sur le témoignage de Geneviève Vailland :
L’enfant couvert de femmes
[10] Un jeune homme seul p 218
[11] Beau Masque p 315
[12] Un jeune homme seul p 107
[13] Écrits intimes, p 638-639

2-  Le Vailland des années trente
1940, au temps de la défaite. Alors que la plupart des gens essaient de vivre avec la guerre, Vailland va à Marseille se ravitailler en drogue, « il va à la drogue, il va à son vice. » (La Fête p 235) Pour lui, cette décennie s’est surtout écoulée entre nuits folles de Montparnasse et reportages, en particulier en Europe de l’Est.
Son engagement fin 42 dans la Résistance est peut-être  dû  à « la part de hasard… sur laquelle s’articule une vie. » [EI p 638-39]


3- Drôle de jeu : De Paris-midi à la Résistance
 «  La plupart des hommes qui font cette guerre écrivent une histoire qu’ils sont incapables de déchiffrer. » Drôle de jeu p 369  

Été 1944 : Roger Vailland, coupé de son réseau de résistance après de nombreuses arrestations, se retire dans un petit village bressan, Chavannes-sur-Reyssouze, dans lequel il s’était déjà retiré au début de la guerre, se remet à écrire. C’est là qu’il va rapidement écrire Drôle de Jeu sur fond de résistance, publié l’année suivante et lauréat du prix Interallié. Un roman ambigu, qui choque certains résistants.  [1] Livre scandaleux pour certains, roman de la lucidité pour d’autres dont il faudra du temps pour en mesurer toute la perspicacité. Un roman qui divise.

Vailland commence par un avertissement : « Drôle de jeu n’est ni un roman historique ni un roman sur la Résistance.  Même si on y reconnaît le dilettante Roger Vailland alias Marat, son responsable Daniel Cordier alias Caracalla ou le militant discipliné Jacques-Francis Rolland [2] alias Rodrigue. [3]
Drôle de jeu en effet, jeu dangereux un peu comme Le Grand jeu. Un drame en 5 actes qui se déroule sur 5 jours entre fin mars et fin avril 1944, premiers soubresauts d’une Libération qui s’annonce. Un scénario entre Paris occupé et les maquis bressans.

[Présentation de Drôle de jeu]

Il met l’accent sur la redistribution des cartes due à la guerre, patriotisme, communisme, notions de droite et de gauche n’ont plus la même signification.
Les valeurs  sont bouleversées par les événements, des patriotes deviennent Résistants, des hommes de gauches pacifistes prennent les armes, d’autres rejoignent l’extrême-droite comme Marquet le maire de Bordeaux ou le communiste Jacques DoriotVailland pourtant homme de gauche ne rejoindra pas les FTP communistes mais un mouvement sous la direction du BCRA anglais. [4]
Question de circonstances.

Notes et références
[1] Voir le témoignage de Robert Lupezza "Vailland, lieutenant de la Résistance" paru dans la revue Entretiens p 80
[2]
Jacques-Francis Rolland, grand ami de Vailland, auteur d’une autobiographie "Un dimanche inoubliable près des casernes" en  1984 où apparaît Vailland, d’articles sur son ami et d’un adaptation de Drôle de jeu pour le cinéma.
[3] Rodrigue sera avec Marat le personnage principal de son roman Bon pied bon œil, la suite de Drôle de jeu
[4] BCRA : Bureau Central de Renseignement et d’Action


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