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Frachet Roger Vailland
19 mars 2024

Le Surréalisme contre la révolution

Cet essai de Roger Vailland, Le Surréalisme contre la révolution, paru en 1948, est parfois qualifié de pamphlet, à une période où il écrit d'autres courts essais comme Réflexion sur la singularité d'être Français.
 

Présentation

La famille Vailland













Essai ou pamphlet [1], c'est en tout cas une page que Vailland veut tourner, rejetant sa période surréaliste dans les limbes de sa jeunesse. À peine dans Le Regard froid évoque-t-il le nom d'André Breton en faisant allusion à son passé. Max Chaleil, l'un de ses biographes, écrira dans un article intitulé La transparence et le masque : « À travers Breton, c'est sa propre jeunesse impuissante qu'il dénonce : pamphlet injuste et schématique où il condamne le surréaliste qu'il fut au nom du militant qu'il va devenir. »

C'est donc bien sa façon de tourner la page. Après son éviction du mouvement surréaliste lors de la séance mémorable du , ce qu'on a parfois appelé "l'affaire du bar du château", et son éloignement du "Grand jeu", Vailland vit une période de flottement, écrivant quand même à
Jean Beaufret : « François [2] est mort et je laisse se former celui qui va lui succéder. » [3]

 

Comme le note Olivier Todd dans la préface, il y a une incompréhension fondamentale entre surréalisme et révolution, soulignée par les surréalistes eux-mêmes : « Nous avons accolé le mot de surréalisme au mot de Révolution uniquement pour montrer le caractère désintéressé, détaché et même tout à fait désespéré de cette Révolution. »


Plan de l'ouvrage  :
- Prélude I et II;
- Le temps du dérisoire;
- L'activité surréaliste;
- La tentation du communisme;
- Le monde de la bombe atomique n'est pas dérisoire;
- Les découvertes surréalistes;
- Le maréchal et le surréalisme.

L'opposition entre Roger Vailland et André Breton est évidente, au moins dans deux domaines essentiels :

  • La notion de désir déplaît à Vailland, heurte le caractère rationnel du matheux ;
  • Le style de Breton, touffu, lyrique et parfois abscons, est à l'opposé du style classique de Vailland, clair et concis.
     

La position de Vailland

Tristan Tzara, créateur du mouvement DADA
  • Selon Vailland, le surréalisme, radical et contestataire des années trente, conspuant à l'origine les Institutions, s'est embourgeoisé au point que Breton a accepté d'être publié dans le Figaro sans que personne chez ses amis n'y trouve à redire. Il pose cette fausse question : « A l'égard du monde bourgeois, qui en a vu d'autres, le surréalisme a-t-il perdu sa virulence ? » Vailland se plaît à lui lancer de temps en temps quelques piques quand il écrit : « Le tapeur (Breton) reprochait son manque de dignité au journaliste d'occasion (Vailland), » allusion aux reproches de Breton lors du "procès".
     
La thèse de Vailland est que l'évolution de la bourgeoisie, « enrichie par l'essor prodigieux du capitalisme, s'est coupée des masses populaires qui l'avaient aidée à conquérir le pouvoir. » Les artistes ont tendance à "s'ostraciser", refusant les honneurs : c'est le temps du dérisoire. Le fossé se creuse entre les artistes officiels attachés au pouvoir et les véritables artistes qui sont rejetés car rejetant eux-mêmes les modes de pensée éculés, tels que les impressionnistes et le mouvement Dada.
 
  • Vailland revient sur l'évolution de la société française depuis la Révolution, le rôle et la place de l'artiste dans cette société. Le surréalisme écrit-il « fut avant tout le lieu de rencontre de jeunes intellectuels petit-bourgeois particulièrement sensibles au caractère parfaitement dérisoire de toutes les activités qui leur étaient proposées par leur époque ou par leur milieu. » On reconnaît bien dans ce propos l'attitude de Favard dans Un jeune homme seul. [4]

    Il oppose les deux révolutions, surréaliste et communiste, inconciliables à ses yeux, avec d'un côté les fils de la petite bourgeoisie qui
    « pour aimer Max Ernst, avaient eu le temps d'aimer puis de renier Cézanne et Braque » et de l'autre côté « le fils de l'ouvrier ou de paysan [qui] se trouvait au contraire jeté dans un monde dur, injuste, intolérable. »

     
Le groupe surréaliste
Deux mondes irréconciliables.
  • Derrière cette analyse, c'est bien le jeune Vailland qui se profile, soit directement « Au lycée de Reims en 1925, nous étions quelques élèves de rhétorique... à pratiquer l'écriture automatique et le scandale » soit indirectement quand il fait allusion au journaliste tâcheron qui se force à écrire pour gagner sa vie. En littérature, au-delà du jeu de la vérité ou de l'humour noir, le surréalisme n'a produit aucune œuvre majeure et même sa référence, Ubu roi est antérieure au mouvement. Pas vraiment d'œuvres maîtresses à mettre à l'actif du surréalisme car « l'activité surréaliste consistait essentiellement à mettre en évidence l'universelle dérision. »
     
  • Dans cette société qu'ils rejettent, les surréalistes sont attirés par la dialectique marxiste. Dans les grèves et les manifestations, la pugnacité des communistes ne pouvait que séduire les fils de la petite bourgeoisie. Cette tentation du communisme a toujours été ancrée dans l'histoire du surréalisme. Sa revue a même troqué son nom d'origine par ce titre Le Surréalisme au service de la Révolution. Mais le communisme est bien autre chose pour l'homme : défier la nécessité, transformer sa condition. Les surréalistes eux, vivaient en marge des conflits sociaux, s'occupant plus d'écriture automatique et de "cadavres exquis".
     
  • Avec la guerre, il a fallu choisir : plus question d'être en marge, de rester neutre, comme le fera Vailland fin 1942. Le dérisoire cher aux surréalistes n'était plus possible. Avec la guerre, les fils de la petite bourgeoisie ont connu eux aussi le monde dur des ouvriers et des paysans. Mais la plupart des nouveaux surréalistes sont restés en marge, comme leur leader André Breton, "émigré" aux États-Unis pendant la guerre, ou étaient trop jeunes pour avoir subi cette épreuve.
     
Breton semblait vouloir rejoindre le réel, l'enjeu de la lutte n'était plus dérisoire, y compris contre la bombe atomique, mais selon Vailland, c'est la Révolution qui n'a plus besoin du surréalisme. À un moment donné, surtout dans les années vingt, on peut considérer qu'il a été indispensable à la remise en cause d'une société déboussolée par la guerre et ses conséquences.
 
Ce qu'il a apporté, c'est la rigueur de l'esprit scientifique, sa volonté de passer du sacré à la raison, son goût de la poésie et de l'onirisme. Le scientifique se veut progressiste et, contrairement aux surréalistes, pas un homme en marge qui « nie la possibilité du progrès. » Il poursuit en disant que « toute pensée libératrice qui n'est pas liée à une volonté de transformer le monde, à une action révolutionnaire, a finalement des conséquences réactionnaires : [...] le surréaliste est un révolté, non un révolutionnaire. »
 
Vailland déplore que, malgré lui ou pas, Breton fasse le jeu d'une bourgeoisie qui ne s'y trompe pas puisqu'elle lui ouvre les portes du Figaro, même s'il est en bas de page, sous un article consacré au maréchal Foch. C'est pourquoi il en conclut que Breton et le surréalisme étant contre le Parti communiste, incarnation de la révolution, ils sont nécessairement contre la révolution.
 

Notes et références

  • [1] voir Les Lettres Françaises, 1er décembre 2007, la présentation de l'édition Delga
  • [2] "François" est le pseudonyme de Roger Vailland au Grand jeu
  • [3] Lettre à Jean Beaufret publiée dans les "Écrits intimes"
  • [4] Voir mes fichiers  Vailland, L’homme nouveau et Un homme seul --
     

Éditions et références

  • Le Surréalisme contre la révolution, Éditions Sociales, collection Problèmes 1948
    Réédité aux Éditions Complexe, préface D'Olivier Todd, collection Le regard littéraire, 1988
    Réédité aux Éditions Delga, préface de Franck Delorieux, Paris, 2007
  • La Rupture avec Surréalisme et Grand jeu, Alain et Odette Virmaux, revue Europe, 1988

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