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Frachet Roger Vailland
4 février 2013

L'enfant couvert de femmes, Roger Vailland

Témoignage de Geneviève Vailland
 

La famille Vailland, Roger et sa soeur Geneviève
 

Ce témoignage de sa sœur Geneviève fait écho aux lettres qu'il lui a envoyées à l'époque de leur jeunesse.
Elle est frappée du contraste entre ses souvenirs, les lettres qu'elle a reçues de son frère et la transposition, la reconstruction a posteriori qu'elle constate dans son roman Un jeune homme seul ou dans les Écrits intimes parus en 1968. Leur père a sans doute été frustré dans ses rêves d'avenir par deux événements qui ont contrarié son cours : l'arrêt de ses études, il ne fera jamais polytechnique et sera géomètre-expert, il ne retournera pas non plus à Madagascar et se contentera de son cabinet de géomètre, d'abord à Acy-en-Multien, bourg obscure du côté de Meaux où naîtra Roger puis Reims dans une ville ravagée par la guerre.
 

L'enfant vit entre sa mère, sa grand-mère maternelle qui est avec eux et sa grand-mère paternelle qui leur rend fréquemment visite. « C'était l'enfant-roi, commente Geneviève, un enfant adoré que l'on choyait... »  [1] Pendant la guerre, le père est mobilisé à Dunkerque. Il veut avant tout éloigner sa famille de Paris Depuis 1910, la famille réside à Paris, rue Flatters dans le 5ème arrondissement, à l'angle de la rue Berthollet. Les deux enfants mèneront une vie insouciante d'abord au Pavillon, à Villejust près de Monthléry puis dans la famille à Teilhède en Auvergne. [2]
 

Avec sa sœur, il prend l'habitude de faire de longues promenades à travers les bois, dans la campagne. En 1919, la famille quitte Paris pour Reims où tout est à reconstruire. Le père va s'occuper de l'éducation de ses enfants. Il donnera à Roger le goût des mathématiques, de la botanique Il s'intéressera toujours à la botanique, faisant par exemple des recherches dans la maison de Château-Marion qu'il louera au début de la guerre dans l'Ain à Chavannes-sur-Reyssouze , l'appétence pour les auteurs classiques qui le marqueront pour toujours Voir son essai Expérience du drame et le goût pour les voyages par les récits que faisait son père de son séjour à Madagascar. [3]
 

Roger est un enfant plutôt malingre et il en souffre. Le sport l'intéresse peu, à part le cyclisme dont il gardera une vive passion. [4] Il fera un peu de boxe pour 's'endurcir' mais résultat très probant. À propos de son roman Un jeune homme seul où dans la première partie il égrène nombre de détails biographiques, il écrira à sa sœur dans la dédicace de l'exemplaire qu'il lui remet : « À Geneviève, ce roman qui voudrait enseigner comment on perd et on retrouve son cœur. »

Il souligne le mot 'roman' pour bien marquer la différence entre réalité et fiction littéraire. L'attirance de Roger pour la littérature classique -surtout Corneille et Shakespeare- lui vient de son père et de sa grand-mère maternelle qui lui constitue peu à peu une belle bibliothèque. Ses relations avec son père que sa sœur évoque dans cette interview, Roger n'en parlera jamais.

 

Pourtant, leur père aimait lier connaissance, discuter avec les gens, les paysans pendant les vacances, comme Roger fera à son tour dans l'Ain, aussi bien aux Allymes qu'à Meillonnas. [5] Même si par la suite des heurts se produisent avec son père, l'affection ne s'altère pas, leur correspondance le démontre, même après la séparation quand Roger est resté à Paris, [6] elles continueront à donner l'impression d'harmonie familiale.

Lors d'un voyage à Prague en 1927, Vailland envisage déjà d'y consacrer quelques reportages. Dans sa correspondance, « il note ses impressions de voyage qui sont autant de petits reportages » dit sa sœur. Au retour, il rencontre Mimouchka et aux vacances de Pâques 1928, il annonce à ses parents sa décision de l'épouser. Refus du père : trop jeune, pas de situation. Furieux, il abandonne ses études et s'installe chez sa grand-mère à Paris. Il écrit à sa mère pour la rassurer (lettre d'avril 1928) et à son père pour établir un "code de bonne conduite".

Dans une autre lettre à son père de juin 1928, il éprouve le besoin de faire, à mots couverts, une mise au point, refusant normes sociales et conventions telles que son père les personnifie. Sa famille est assez traditionnelle, catholique et patriarcale, une mère effacée « se modelant » sur son mari : tout ce que Roger veut désormais rejeter avec force.

 

Quand sa sœur lui parle de vie mystique, il lui répond : « réfléchis-y bien, mais ne sois pas médiocre. » Elle dira de lui : « Tout Roger est là dans ce refus de la médiocrité, de la nécessité de s'engager à fond pour ce qu'il a délibérément et mûrement choisi. » L'ambiance du journal où il travaille ne lui plaît guère [7] et au printemps 1930, il est hospitalisé pour un phlegmon au bras consécutif à une piqûre de morphine infectée.

Ceci n'améliore pas ses rapports avec son père. Le rapport à l'argent aussi les sépare : Roger est étranger à l'idée d'économie et toujours en demande d'argent. C'est pire après son mariage avec André Blavette rencontrée dans une boîte de nuit. « C'était une bonne fille... gentille, affectueuse, le cœur sur la main, concède Geneviève, mais dans notre milieu, elle passait mal et gaffait souvent. » Ils menaient une vie décousue, dissolue, Roger disant un jour à Antibes à ses parents : « Nous sortons la nuit et dormons le jour. »

 

Selon sa sœur, il avait des tendances cyclothymiques, tantôt imputant sa fatigue à la drogue, tantôt euphorique, disant avoir trouvé l'équilibre et le bonheur. [8] À la mort de leur père en 1943, Roger se réjouit qu'il soit mort lucidement car « pour nous, savoir mourir, c'était savoir mourir lucidement » précise Geneviève. [9] Elle parle d'une « névrose naissante » de Roger à l'égard de sa mère, [10] « un lien à la fois désiré et refusé, d'où le malaise, la culpabilité » traduit Max Chaleil, qui apparaît dans la dédicace de son roman Drôle de jeu : « À ma mère, ce livre qu'elle n'aimera sans doute pas (mais on ne choisit ni son fils, ni son inspiration). »
 

Le village de Meillonnas
 

Voir aussi
  • "Lettres à sa famille", Roger Vailland, éditions Gallimard, Paris, 315 p, 1972, préface et notes de Max Chaleil
  • "Revue Europe no 712-713", numéro spécial consacré à Roger Vailland, 1988
  • "La conquête de la liberté", Le Magazine littéraire no 294, articles de Yves Courrière, Jacques-Francis Rolland, Claude Roy, René Ballet, Jean Sénégas…, 1991
  • "Roger Vailland" : œuvres complètes, 12 volumes, Éditions Rencontre, Lausanne, 1967-68
     

Références

[1] Roger va d'ailleurs dans un premier temps rejeter l'école et c'est sa mère qui lui apprendra à lire
[2] Son premier roman, probablement inachevé et détruit, portait le nom de ce village
[3] Souvent le soir, Roger ou son père lisait un passage de Vies parallèles des hommes illustres de Plutarque
[4] On en trouve de nombreux exemples, que ce soit le titre de son premier poème qui nous soit parvenu ("En vélo"), la course cycliste au début de son roman 325.000 francs ou les courses amateurs qu'il suivra avec enthousiasme à Meillonnas
[5] « Le jugement des paysans de Meillonnas corrobore tout ceci, puisque pour eux parler de Roger, ce n'est pas parler de l'écrivain, mais du voisin et surtout de l'ami, » précise Max Chaleil
[6] La famille déménage d'abord à Montmorency en 1925 puis l'année suivante à Antibes, la correspondance couvre donc essentiellement cette période de séparation physique d'une dizaine d'années entre 1926 et 1936
[7] La rupture récente avec les surréalistes et son retrait du Grand Jeu l'avaient aussi beaucoup affecté
[8]Certains psychologues établissent un lien étroit entre cette tendance et la créativité. Voir par exemple cet ouvrage : La Cyclothymie pour le pire et pour le meilleur : bipolarité et créativité d'Elie Hantouche et Régis Blain, éditions Robert Laffont, 2008 [NDLR]
[9] Ceci est à rapprocher de ses dernières paroles rapportées par sa femme Élisabeth : « Je meurs heureux. »

[10] qui se manifestait aussi par des rêves où sa mère apparaît en sorcière ou le chasse de chez elle

<<<<<< Christian Broussas - Feyzin - août 2011 - © • cjb • © >>>>>>>>

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