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Frachet Roger Vailland
11 février 2017

Roger Vailland par Christian Petr

L'art d'inscrire sa vie dans l'Histoire
En hommage à Christian Petr, décédé en juillet 2016

Interview de Christian Petr à l'occasion de la commémoration du trentième anniversaire de la disparition de Roger Vailland - Vendredi 12 mai 1995
 

TRENTE ans déjà. Roger Vailland meurt le 12 mai 1965. Christian Petr, enseignant à l'université d'Avignon et président de la Société des amis de Roger-Vailland, répond à nos questions sur l'homme, à la personnalité éclatante, et sur l'œuvre, considérable.
 

      
                                     Roger Vailland et Christian Petr
 

Comment êtes-vous entré en contact avec l'œuvre de Roger Vailland ?

C'était en 1971, à l'université de Paris-X à Nanterre. Je devais préparer un exposé sur le roman et la Résistance, tout en étant bien embarrassé. Une très jolie voisine me susurre: « Drôle de jeu ». [1] Et voilà comment j'ai découvert Roger Vailland.
 

Quelle a été votre réaction à la lecture de cet ouvrage paru après-guerre ?

Il m'a relativement bouleversé, dans la mesure où je crois m'être reconnu dans certains des traits du personnage de Marat. [1] Disons que j'ai découvert en lui une espèce de frère aîné. A l'époque, nous étions un certain nombre à refuser de ressembler aux fantômes qui nous gouvernaient, et donc à vouloir être différents d'eux, ce qui me paraît constituer une caractéristique essentielle du personnage de Marat.

Le deuxième point, c'est que j'ai eu l'impression de rater 1968, pour une raison d'âge. J'étais un peu jeune. Et ce personnage a, lui aussi, raté un certain nombre d'événements. Il a le sentiment d'avoir raté ses rendez-vous avec l'Histoire mais la Résistance lui donne l'opportunité d'entrer dedans.

En 1971, comme Marat et comme pas mal d'autres, j'étais en attente de ce qu'allait produire l'Histoire. On ne pouvait pas imaginer que 1968 n'allait pas engendrer de délicieux lendemains.
 

Au fond, ce qui vous a séduit chez Vailland, c'est l'inscription du sujet dans l'Histoire ?

Voilà. Il me semble que Vailland est l'écrivain qui a posé cette question avec le plus d'acuité. Bien plus que Sartre. De manière plus fine. Chez Sartre, le problème de l'engagement m'apparaît très réducteur par rapport à l'approche de Vailland. Quand l'individu s'engage, chez Sartre, il fait un peu abstraction de tout ce qu'il a été; alors que, chez Vailland, cette notion d'adhésion à l'Histoire implique vraiment tout ce qu'a été l'individu. Il n'y a pas de castration du passé, contrairement à ce qui se passe chez les personnages de Sartre ou de Nizan.

On ne lit pas suffisamment cela, chez Vailland. On a tendance à ne pas le voir. Et c'est peut-être là que réside sa véritable qualité de romancier.
 

Comment avez-vous progressé dans la connaissance de Vailland après le parcours inaugural de « Drôle de jeu » ?

Eh bien j'ai lu tous ses romans; ses essais également - il est à mes yeux un très grand essayiste. Je crois qu'il est l'un des auteurs qui permet le mieux de comprendre la période 1945-1965. Le fameux regard froid [2] n'est pas seulement celui du libertin; il est aussi celui de l'intelligence. Il déchire les apparences. Il montre ce qui les constitue. Et là, nous sommes en pleine actualité.
 

Avez-vous mis Vailland à votre programme universitaire ?

J'ai inscrit « Drôle de jeu ». Cela a été une découverte pour beaucoup de mes étudiants, qui ont été très séduits. La démarche leur paraît très actuelle, notamment dans cette considération que la vie individuelle a un sens et qu'elle doit s'accorder à l'Histoire.

L'opposition individu/Histoire est très ancienne. Vailland a envisagé d'écrire un livre sur ce problème. Comment être dans l'Histoire? Faut-il changer l'homme ou changer le monde? La réponse de Vailland, dans sa littérature, est qu'il faut se changer en changeant le monde.

Et il écrit tout cela de manière très simple, accessible !
 Le lire n'est pas ardu. Il suffit d'abord de se débarrasser des clichés et des étiquettes. Avouons qu'il est responsable de certaines d'entre elles, notamment celle qui veut que sa vie aurait été rythmée selon des «saisons» particulières.

Mais il faut prendre certains textes, à l'image des « Écrits intimes », [3] comme des œuvres de fiction. Suivant Rimbaud, je est un autre. Ses personnages ne le désignent pas lui-même mais plutôt ceux auxquels il souhaite s'identifier. L'auteur détermine un rôle à jouer dans lequel il tente de se glisser. Par exemple dans ce qu'il a appelé « le nouvel homme nouveau ». Mais il reste beaucoup de malentendus sur son oeuvre. Il le constatait encore au moment de sa mort.
 

N'est-ce pas l'un des buts de l'association que vous présidez d'y remédier ?

Effectivement, nous souhaitons liquider les malentendus et renouveler la lecture. Nous souhaitons montrer sa vraie force d'écrivain. C'est l'objet des cahiers semestriels que publie « le Temps des cerises ». C'est tout le contraire d'une célébration. Il n'existe pas de statue à admirer mais des repères à mettre à profit pour aujourd'hui. Vailland constitue l'une des grandes figures intellectuelles du siècle et l'on ne va pas vers l'avenir sans réfléchir sur le passé. Il faut interroger cette période pour aller de l'avant.
 

Quelles sont les activités prévues pour ce trentième anniversaire ?

La ville de Bourg-en-Bresse et la région Rhône-Alpes ont grandement aidé, et même rendu possibles, des initiatives variées (expositions, tables rondes, spectacles divers, etc.) qui ne ressembleront pas à une commémoration, dont l'intéressé avait d'ailleurs horreur [4]. Roger Vailland a vécu dans cette région et tous les manuscrits sont déposés à la médiathèque Élisabeth et Roger-Vailland de Bourg-en-Bresse. Cela constitue un outil très intéressant pour tous les chercheurs et les universitaires du monde entier. Cela dit, ces manifestations ressembleront à leur intitulé: « Roger Vailland la fête ».[5]
 

Et l'édition n'est pas en reste ?

Nous assistons à une grande activité éditoriale autour de Roger Vailland. La collection « Les infréquentables » des Éditions du Rocher s'apprête à publier mon livre « Éloge de la singularité »; les Cahiers Roger Vailland sont publiés par « le Temps des cerises » qui créent une collection autour de l'auteur et dont le premier volume sera la réédition des « Circonstances», de Pierre Courtade; les Éditions du Rocher vont publier des inédits (un volume préparé par René Ballet et moi-même) sous le titre: « N'aimer que ce qui n'a pas de prix »; les éditions Kaïlash ressortent « Boroboudour » [6] et «le Temps des cerises» encore « Marat Marat » [7], etc. Nous n'avons donc pas terminé d'entendre parler de Roger Vailland.

Propos recueillis par PATRICE FARDEAU
 

Notes et références
[1] Drôle de jeu, roman sur la Résistance, publié en 1945, prix Interallié. Marat est le principal personnage du roman
[2] Le regard froid : recueil de textes de Vailland publié en 1963
[3] Écrits intimes : journal de Vailland publié à titre posthume
[4] le 1er juillet, à 15 heures, au Centre d'art contemporain de Lacoux (plateau d'Hauteville), table ronde et exposition: Roger Vailland et ses amis peintres et sculpteurs; en septembre, au Centre Albert-Camus de Bourg, exposition sur l'œuvre de Vailland; le vendredi 22 septembre à Meillonnas (dernière résidence d'Élisabeth et Roger), exposition de photos inédites et, à 20 h 30, table ronde sur Roger Vailland et «le Grand jeu» (période surréaliste). Samedi 23 septembre, à Ambérieu-en-Bugey, 14 h 30, table ronde, témoignages et lectures d'extraits d'« Un jeune homme seul ». Vendredi 29: table ronde, l'après-midi, sur « Roger Vailland et l'exotisme ». Samedi 30, à Bourg, 14 h 30, actualité de Roger Vailland et, à 20 h 30, dans le théâtre de la localité, un spectacle inspiré du roman «Un homme du peuple sous la révolution». En octobre seront présentés des films auxquels Vailland collabora, ou tirés de son oeuvre, en collaboration avec l'association « Cinémateur ».
[5] Sans doute allusion à son avant-dernier roman intitulé "La Fête"
[6] Boroboudour : livre de réflexions et de souvenirs sur son voyage à Bali
[7] Essai inachevé qu'il entreprit d'écrire au début de la guerre lors de sa première "retraite" à Chavannes sur Reyssouze.
 

<><><> • • Christian Broussas • Vailland / Petr • °° © CJB  °° • • 2014 <><><>

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