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Frachet Roger Vailland
23 mai 2013

Roger Vailland à Meillonnas

La maison de Meillonnas

 Roger Vailland s’installe à Meillonnas en 1954, village du Revermont à une vingtaine de kilomètres de Bourg-en-Bresse, avec sa seconde femme Élisabeth qu’il surnomme Lisina.

La maison de Meillonnas, c’est son ami et biographe René Ballet qui la présente dans un texte de 1972 : "Au centre de son territoire, le village de Meillonnas, exactement à la limite de la plaine et de la montagne. A l'ouest, Meillonnas s'ouvre sur la plaine de Bourg, la vallée de la Saône, les routes vers Lyon et Paris. A l'est, les maisons s'adossent aux dernières pentes de la montagne. Dans le village, la maison de Vailland. Non pas au centre, mais à l'extrémité orientale du village. A l'est, seuls les sapins de la montagne. A l'ouest, les deux cafés, la mairie, l'école, l'église, le centre du village."

Une fois franchie la porte de l'entrée, « la porte étroite de ma maison, la fausse façade humble. Soulages habite un palais, moi un repaire » écrit Vailland dans ses "Écrits intimes", on débouche sur une pièce pleine de plantes, ouverte sur le jardin. En bas, une autre pièce, 'la salle de musique', la cuisine avec sa vaste pierre d'évier. En haut, des œuvres de Marc Garanger son photographe préféré, une photo où Louis Malle hurle en tête d'un cortège, des bronzes de l'ami Costa Coulentianos sur les poutres. À l'extérieur, deux jardins clos par de hauts murs, un pavillon aménagé dans une ancienne écurie. « ... on fait sa maison en prenant une matière analogue à soi-même, pour en faire ce qu'on voudrait être. » (Écrits intimes, 29 août 1962)

ll aime griffonner des plans de la maison, y indiquer les différents chemins qui conduisent à son 'bureau-bibliothèque', situé dans l'endroit le plus reculé de l’habitation. Il l'appelle "l'accul'" terme de vénerie qui désigne l'endroit où se cache l'animal, son dernier refuge. Une pièce était réservée aux soins de ses plantes à tubercules, la pièce aux plantes. Vers la fin de sa vie, il aura cette réflexion : « La mort est sans doute acceptable si l'on sait vivre comme un arbre quand on a achevé d'occuper tout son espace. »

Une plaque de faïence [1] accrochée sur un mur d'une rue du centre du village par le syndicat d'initiative, reprend cette citation de Roger Vailland : « (...) dans chaque bois des sentiers, dans chaque prairie des troupeaux, dans chaque ruisseau des truites et dans chaque pierre inscrite la main de l'homme. Une campagne à la mesure de l'homme et où l'homme se sent bien. » À Meillonnas, Vailland aimait se promener longuement, marcher dans la montagne, aller cueillir des champignons, discuter avec les paysans et les regarder travailler. Il est un homme différent de l’écrivain reconnu : «  Á Meillonnas et dans sa région, écrit Robert Courtier, il a laissé le souvenir d’un homme simple, épris d’amitié ; et pour les militants, qu’ils soient ouvriers ou paysans, Roger est toujours resté un des leurs. » [2] Sa sœur Geneviève qui venait régulièrement lui rendre visite, précisera que « Roger avait cette facilité de contact avec les gens simples ayant une expérience concrète de la vie. » [3]

             Meillonnas & la maison

Vailland et l'art

Quand il arrive à Meillonnas en 1954, il ne sait pas encore que son roman "325.000 francs" [4] marque la fin de sa saison communiste et qu’il devra accoucher dans la douleur d’une nouvelle saison. [5] Après avoir décroché de son bureau le portrait de Staline, il va chercher un exutoire dans le voyage. Ce sera l’Italie, pays de sa femme Élisabeth où il est déjà allé plusieurs fois, cette Italie du sud dans la région des Pouilles qui lui paraîtra figée dans son passé comme si "le Christ s’était arrêté à Eboli" et dont il ramènera la matière de "La Loi" [6], le roman qui lui vaudra le prix Goncourt en 1957.

Entre ses deux derniers romans, "La Fête" et "La Truite", quatre années s’écouleront pendant lesquelles Vailland réfléchit au sens de l’écriture, au rôle du narrateur-romancier vis-à-vis de ses personnages et à l’évolution de sa conception de l’art d’écrire. [7] Il s’intéresse ainsi à d’autres formes d’expression. Il passe souvent voir son ami Costa Coulentianos dans son atelier de Meillonnas se confronter à la résistance du métal pour façonner ses sculptures. [8] Il examine aussi comment pratique son ami le peintre Pierre Soulages, comment il se met en condition pour réaliser ses compositions picturales. [9]

Un jour qu’il se rend à Bourg-en-Bresse avec un ami, l’architecte Pierre Dosse, ils visitent la nouvelle piscine alors en construction. Avisant des poutrelles qu’on s’apprête à noyer dans le béton, il s’exclame : « C’est idiot, on va couler du béton et on ne verra plus les aciers… » Et d’imaginer des solutions où l’on pourrait admirer « les nerfs et les muscles du bâtiment. » Et Pierre Dose de conclure : « C’était un architecte de l’écriture. » [10]

Les années 60 à Meillonnas

Pour un temps, il s’intéresse de nouveau au cinéma, écrivant des scénarios pour Roger Vadim qui viendra plusieurs fois à Meillonnas pour finaliser leurs projets [11] Mais Vailland, mal à l’aise dans son rôle de scénariste, va assez rapidement abandonner cette activité. Il met aussi de l’ordre dans ses pensées et dans ses essais écrits depuis la fin de la guerre. Patiemment, il relit et annote tous ses essais qui seront réunis et publiés en 1963 sous le titre "Le Regard froid", emprunté au "divin marquis". Lui qu’on disait "désintéressé" ou pour reprendre le mot de Don Cesar, son personnage de La Loi,  "désoccupé", il va écrire en décembre 1964 un article remarqué dans le Nouvel Observateur intitulé "L’Eloge de la politique" dans lequel il rêve à une bonne et belle nouvelle utopie qui ait au moins la vertu de garder l’espoir au cœur des hommes. Les dirigeants de cet hebdomadaire lui proposèrent alors « un voyage en Amérique latine, dans les pays où naissaient des mouvements révolutionnaires pour un période indéterminée. Roger a immédiatement donné son accord et je crois que jusqu’à la dernière minute, il a espéré partir. » [12]

Mais la maladie va en décider autrement et il meurt d’un cancer à Meillonnas le 12 mai 1965. Son rapport à la mort, il l’aborde directement dans ses "Écrits intimes" où il écrit le 17 février 1965: « Je me fous bien sûr de ce que l’avenir peut penser de ma statue puisque mon anéantissement est celui du monde pour moi. » [13]

Maintenant, il repose à moins de cent mètres de sa maison, dans le cimetière de Meillonnas sous une plaque de bronze, avec des buis et un thuya, souvent fleurie de ces roses rouges qu'il affectionnait. Son ami le peintre Pierre Soulages a écrit : « Vailland, c'était un ami. Un ami très cher. Très proche. Nous étions deux hommes avec Claude Roy, qu'Élisabeth avait accepté pour l'ensevelissement. Trois avec elle et les fossoyeurs. Le public, les Gallimard, tout le toutim, étaient hors du cimetière. » Il se reconnaîtrait parfaitement dans cette épitaphe qu’il écrivit deux ans plus tôt pour la disparition de son ami Pierre Courtade : « Un des hommes qui incarnaient le plus vivement les contradictions de notre temps, est mort en riant de lui-même. » [14]

   
Roger & Elisabeth en campagne          Roger Vailland en campagne
(debout à gauche)

Bibliographie "locale"
  • "Roger Vailland dans ses terres de Meillonnas", Michel Cornaton, revue Le Croquant, 1987
  • "Vailland repose à Meillonnas", revue Visages de l’Ain, Jacquier, 1965
  • "Vailland ou la souveraineté", Félicien Gallet, revue Visages de l’Ain, 1969
Voir aussi
  • "Libertinage et tragique dans l’œuvre de Roger Vailland", Michel Picard, Hachette Littérature, 1972
  • La transparence et le masque, Max Chaleil, revue Europe, 1988
  • Roger Vailland un homme encombrant, Alain-Georges Leduc, éditions L'Harmattan, 2008
  • Roger Vailland aux Allymes à Ambérieu-en-Bugey : Les Allymes

                     
   Roger et Elisabeth  aux Allymes

Notes et références

[1] Meillonnas est renommée pour sa production de faïences
[2] Robert Courtier, Entretiens Roger Vailland, éditions Subervie, 1976
[3] Témoignage de sa sœur Geneviève. Son ami l’éditeur Max Chaleil écrira aussi : « Pour les paysans de Meillonnas, parler de Roger, ce n’est pas parler de Roger Vailland l’écrivain mais du voisin et surtout de l’ami. »
[4] Voir ma présentation de 325.000_francs
[5] Voir François Bott, "Les saisons de Roger Vailland"
[6] Voir ma présentation dans la fiche La Loi
[7] Voir l’article "Incipits et fonction du narrateur chez Vailland", John Flower
[8] Voir l’article "Le chrome, le cœur et l’algèbre", René Ballet
[9] Voir l’article qu’il lui a consacré "Comment travaille Pierre Soulages ?" ainsi que l’article d’Alain Georges Leduc "Roger Vailland et la fabrique de la peinture"
[10] Voir Pierre Dosse, "Un architecte de l’écriture", interview de Robert Courtier, Entretiens, éditions Subervie, 1970
[11] En particulier, les films "Les Liaisons dangereuses 1960" et "Le vice et la vertu" (1963)
[12] Élisabeth Vailland, "Roger Vailland au jour le jour", Entretiens, éditions subervie, 1970
[13] Dans sa pièce "Monsieur Jean", il a cette réplique : « J’ai eu tout ce que j’ai désiré. J’ai fait ce que j’ai voulu. Je meurs¸ mais vous n’aurez jamais fini d’être jaloux de moi. Mon souvenir tourmentera longtemps vos rêves d’impuissants. » (Monsieur Jean, 1959, acte III, scène 6)
[14] D’après sa femme Élisabeth, il lui susurra juste avant de rendre l’âme « Je suis heureux ». ("Roger Vailland au jour le jour", Entretiens, éditions subervie, 1970)

           <<<<<<<<<< Christian Broussas - Feyzin - août 2011 - <<<< © • cj b>>>>>>>>>>

 

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