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Frachet Roger Vailland
1 février 2013

Jeu et souveraineté chez Roger Vailland

Sommaire
1- Naissance d'un écrivain
2- Du libertinage chez Vailland
3- Bibliographie
 
Vailland au temps du Goncourt
1- Naissance d'un écrivain

L'amour fou, extraordinaire qui transportait Roger Vailland au temps du surréalisme, il en retrouve l'essence dans celle qu'il appelle Boule, Andrée Blavette, celle qui sera B dans Drôle de jeu puis Roberte dans Les Mauvais coups. Chanteuse de cabaret aux allures quelque peu éthérées, elle représentait l'expression antithétique de l'épouse idéale, telle que la concevait sa famille bourgeoise. Une "anti mère" telle qu'il se la représentait dans son univers intérieur. A Paris, après qu'il eut présenté Boule à sa famille, après leur mariage, ils mènent une vie d'oiseaux de nuit au Poisson d'or et dans d'autres boîtes avec des amis comme Joseph Kessel. Vailland joue au dandy avec ostentation, toujours tiré à quatre épingles, [1] succombant à l'habitude ou en tout cas à une certaine facilité. [2] La drogue en est un élément majeur, mélange de rêve et de danger, le recours matriciel à une bonne fée protectrice. [3] La drogue possède cette vertu particulière d'isoler d'un monde difficile comme le ferait une mère.

Déjà son personnage Marat était "un intellectuel en chômage" des années trente, "Marat n'avait rien à faire, il était en vacances, vacant..." écrit-il dans "Drôle de jeu". Instable, sans résidence fixe, il vit alors en marge, échouant au Vésinet dans la tribu bohème de Boule, affichant une neutralité dédaigneuse jusqu'à son revirement de 1942 marquant son entrée dans la Résistance. [4] Vailland résistant certes mais aussi aventurier dans cette épopée voulue d'abord comme une rupture contre cette 'torpeur' qu'il ressent pendant toute la période de la "Drôle de guerre". Résister, c'est exercer "sa faculté d'irrespect", singularité éminemment française pense-t-il, [5] mais aussi exercer sa liberté, être libre penseur, être libertin autour des grandes figures que sont pour lui Laclos, Stendhal ou Bernis. [6] Après le processus d'exclusion qui le poursuit, la fameuse séance du 11 mars 1929 où il est exclu du mouvement surréaliste sur intervention de Breton et d'Aragon, en marge de la société comme le sera Eugène-Marie Favard, ce 'jeune homme seul' , [7] vient le temps de la participation, de la fusion dans le groupe, lui rappelant les virées collectives des noctambules de Montparnasse.

La Résistance est aussi l'espoir de participer à la Révolution, celle qui renversera l'ordre bourgeois comme l'espéraient beaucoup de surréalistes, et les communistes en étaient le fer de lance. Son personnage Marat-Lamballe est ainsi le symbole de la contradiction voulue par Vailland, Jean-Paul Marat le révolutionnaire pur et dur et le Prince de Lamballe son contemporain, type du grand libertin, mêmes faces du passé et de l'avenir. Ainsi se réalise pour Vailland la fusion nécessaire à son accomplissement mais porteuse d'ambiguïtés.

Son "expérience du drame" se situe entre "le plus jamais" (le never more) de celui qui a raté le coche et "le pas encore" (le not yet) de celui qui a perdu espoir dans l’avenir. (Drôle de Jeu pages 126-127) Elle est soulignée par la distanciation par rapport à l’action, Marat-Lamballe dans "Drôle de jeu" agit comme résistant et trouve aussi cet engagement absurde et, citant Shakespeare, tout cela « plein de bruit et de fureur, sans signification. » [8] Finalement, tout est jeu pour lui, un drôle de jeu absurde (après l’engagement du jeune Vailland dans la revue surréaliste Le Grand Jeu). La fraternité du combat cache en fait une grande solitude dans sa « longue promenade solitaire » [9] qui le ramène à la solitude d’Eugène-Marie Favard, ce "jeune homme seul". [10] Le sens du tragique chez Vailland tient à une certaine incapacité plus ou moins consciente de dépasser ses propres contradictions entre le confort du groupe, de la mère protectrice et de l’adulte qui aspire à la liberté, écartelé entre son milieu bourgeois qu’il rejette et le peuple qui l’attire mais dont il se sent souvent étranger. La voie étroite qu’il va suivre le conduira, à partir de 1946, à la recherche de la souveraineté. 

2- Du libertinage chez Vailland

Cette souveraineté qui reviendra souvent sous sa plume, peut se définir comme la capacité d’un individu à se dégager des conditionnements qui pèsent sur sa vie. [11] « La liberté de l’homme, note-t-il en 1951, c’est la maîtrise de la nature et de soi-même en tant que nature. » "Se faire" est un défi permanent qu’on retrouve dans bien des intrigues de ses romans. Le jeune veau pas encore détaché de sa mère « n’est pas fait » dit-il dans Les Mauvais coups quand Milan et Roberte assistent au vêlage, « il faut qu’il se fasse dans sa singularité. » [12]

Il rejette l’amour-passion qu’il considère comme une aliénation et dont il monte le cheminement, toujours dans Les Mauvais coups où sa propre expérience apparaît souvent comme par exemple page 127, et récuse l’amour-fusion car «  faire dépendre d’autrui, et qui plus est, d’un seul être la satisfaction de ses désirs, est en soi une cause de malheur. » [13] L’amour aussi bien que la drogue provoque la dépendance, faisant encore allusion à l’amour destructeur d’Andrée Blavette, sa première femme, comme de la drogue qui les unissait également d’une autre façon, en se renforçant, dépendance qui supprime toute forme de liberté, suscitant la jalousie, annihilant toute lucidité car « la liberté n’est que celle de chercher l’amour qui la détruit. » Sa recherche de liberté apparaît ainsi comme le moteur de sa conception du libertin. Écrits intimes page 135. Il écrira aussi dans Les Mauvais coups « Les héros de Stendhal ne subissent pas, ils font leur destin. » (pages 229-230) [14]

Toujours dans son Journal, cette dichotomie se retrouve quand il veut fonder une morale pour l’an 2000 où « la vertu se confond avec la souveraineté, le vice avec la passion. » [15] Derrière cette façade rationnelle qu’il met dans la bouche de ses personnages, se profilent les fantasmes de l’homme Vailland, très marqué par sa relation à la femme-mère et par là-même de ses relations avec les femmes en général, de s’abandonner à ses pulsions. C’est justement de ce combat introspectif et transposé dans ses œuvres de fiction, qui fait la grandeur de son combat, que doit naître l’être souverain qui a réussi à surmonter ses contradictions. « La vertu, dit Octave, ne consiste pas dans un combat illusoire contre nos penchants, mais dans leur domination. » [16] Belle profession de foi qu’il aura bien du mal à honorer.

3- Bibliographie

Sur le contenu de l'ouvrage

  • "Vailland, esquisse pour la psychanalyse d'un libertin", Jean Recanati, Éditions Buchet-Chastel, 1971
  • "Libertinage et tragique dans l'œuvre de Roger Vailland" par Michel Picard
  • Correspondance, Lettres de Roger Gilbert-Lecomte à Roger Vailland", Éditions Gallimard, 1971
  • Le héros chez Vailland, Marc Le Monnier, Université de Caen
  • Les écrivains en personne, interview de Roger Vailland, Éditions Julliard, 1960
  • Vailland, l'homme et l'œuvre, Michel Picard, revue "Europe", 1988

Sur Roger Vailland

  • Lecture De Roger Vailland, Colloque De Reims, sous la direction de Michel Picard, novembre 1987, publié aux éditions Klincksieck en janvier 1990, 233 pages, isbn 0225227061
  • La cata, Éditions Buchet/Chastel, 256 pages, février 2009, isbn 9782283023761
  • Nodier: La Fee Aux Miettes : Loup Y Es-Tu , éditions des Presses Universitaires de France, janvier 1992, 126 pages, isbn 213044699X

Notes et références

[1] Contraste saisissant quand on pense à ses tenues de campagnard ou d'ouvrier quand il partira s'établir dans le département de l'Ain
[2] Voir le roman de Joseph Kessel intitulé "Les enfants de la chance"
[3] Il parlera de "plusieurs années d'un sommeil plus torpide que celui des animaux hibernants" dans son livre de voyage "Borodoudour" page 47 ainsi que dans "Drôle de jeu" page 58.
[4] Il écrira dans une lettre à son père en 1940 : "Je ne me sens pas suffisamment Français pour prendre à coeur les intérêts des Français, pas suffisamment bourgeois pour défendre la classe bourgeoise, pas suffisamment prolétaire pour m'engager dans une action révolutionnaire". Il écrira aussi dans son Journal : "Je n'ai rien à défendre que moi-même".
[5] Voir son essai "Quelques réflexions sur la singularité d'être français", éditions Jacques Haumont, 1946, repris dans son recueil "Le Regard froid".
[6] Voir son essai "Éloge du Cardinal de Bernis", Éditions Fasquelle, Paris, 1956
[7] Voir son roman "Un jeune homme seul", Éditions Corrêa, Paris, 1951, 253 p, réédité chez Grasset-Fasquelle en 2004
[8] Drôle de jeu pages 124-125 et 207
[9] Drôle de jeu page 224
[10] Un jeune homme seul pages 86-88, 92 et 126
[11] Drôle de jeu page 94 et Les Mauvais coups page 59
[12] Les Mauvais coups pages 95-96
[13] Le Regard froid page 62
[14] Écrits intimes page 111
[15] Écrits intimes page 135. Il écrira aussi dans Les Mauvais coups « Les héros de Stendhal ne subissent pas, ils font leur destin » (pages 229-230)
[16] Le Regard froid page 68

<> • • Christian Broussas • Jeu/Souveraineté • °° © CJB  °° • • août 2011 <>

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