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Frachet Roger Vailland
29 janvier 2013

Roger Vailland et la fabrique de la peinture

Dans sa jeunesse, Roger Vailland aime surtout le rationnel dû à son éducation classique, ses humanités. En littérature, il défend la composition rigoureuse, la tragédie classique, les cinq actes, la symétrie. En décoration et en peinture, nous possédons les lettres qu'il écrivit à sa famille (Lettres à sa famille, éditions Gallimard, 1972), en particulier à sa sœur Geneviève à qui il parle de ce qu'il aime, des ses goûts et de la décoration de son intérieur.

Vailland et le peintre Pierre Soulages

Dans sa chambre, derrière Notre-Dame-de-Lorette, il suspend une grande toile de son ami surréaliste Joseph Sima -un ami de l'époque du Grand Jeu- « une femme mutilée qui saigne tellement que sa sœur rouge se sculpte à côté d'elle. » En 1931, il décrit son appartement de la rue Saint-André-des-arts dans une lettre à sa mère : « double rideaux cretonne à ramage » précisant qu'il prévoit de changer l'éclairage, d'y placer « des eaux-fortes de Cranach, William Blake, Gustave Doré, etc. »

Le journaliste des années trente fréquente galeries et vernissages, impressions qu'il retranscrit ensuite dans ses articles pour Paris-Midi puis Paris-Soir. Plus tard dans sa maison de Meillonnas, il aura une prédilection, un engouement marqué pour la sculpteur Costa Coulentianos qu'il hébergera chez lui et rencontrera à Paris le peintre Pierre Soulages. À la fin de sa vie, il dénoncera dans ses Écrits intimes en février 1964 « les interprétations intellectualistes ou mystiques de la peinture... la pouillerie littéraire sur la peinture. » L'art pictural du 'réaliste socialiste' ne l'intéresse guère et jamais il ne se mêle des querelles qui agitent les intellectuels communistes français à cet égard. Il aime Picasso- très décrié par beaucoup d'artistes communistes- qu'il a rencontré au congrès de Wroclaw en Pologne mais se méfie quand même de la récupération politique que font les Américains de la peinture abstraite censée représenter la liberté.

Chez lui, outre le grand tableau de Soulages que sera obligée de vendre sa femme Élisabeth après sa mort, on ne trouve guère qu'un 'petit' Fautrier et un Pignon. Vailland n'est pas un collectionneur. Son attrait pour la peinture, il l'évoque dans certains de ses romans, Les Mauvais coups par exemple où Hélène rêve de s'offrir un album de reproductions en couleurs des toiles de Gauguin. Galuchat dans La Truite savait que « les abstraits venaient de baisser, mais lui travaillait plutôt dans les surréalistes. [...] Il connaissait un Magritte de 1933 à acheter pour une bouchée de pain. » Dans Bon pied, bon œil, Caracalla un ancien résistant, achète puis revend une galerie de peinture et ses trois héros « ont sur les murs de leur chambre les mêmes reproductions de Manet, Renoir et Picasso. » Il écrit à sa sœur : « Vlaminck, quoi que tu en penses, est aussi connu qu'Utrillo au moins.Les galeries de la rue Bonaparte sont pleins de ses tableaux qui se vendent fort cher. » [1]

La grande rencontre de Roger Vailland va se produire à Paris avec le peintre Pierre Soulages où il conçoit au théâtre des Mathurins les décors de Héloïse et Abélard, la pièce de Roger Vailland. Il vont se voir très souvent et Vailland va publier deux articles sur le travail de son ami :

- Dans le premier intitulé Comment travaille Pierre Soulages -paru dans L'Œil en mai 1961 et repris dans Chronique, tome II - il décrit l'affrontement entre le peintre, sa toile et la couleur noire, jusqu'à ce que Soulages soit content du résultat; un travail qui va durer 4 heures.
- Dans le second intitulé Le procès de Pierre Soulages -paru dans Clarté en février 1962 et repris dans Chronique, tome II - il présente l'artiste comme un champion sportif qui doit être en forme pour donner le meilleur de lui-même.

Mais Roger Vailland a surtout exprimé sa conception de la peinture dans un texte intitulé De l'amateur intégré dans son recueil d'essais Le regard froid. Il étudie la façon dont s'élabore l'œuvre, démarche qu'il aura aussi dans son roman La Fête où il dit de Duc qui commence un roman, « c'est son métier. » Ce qui est réel d'après lui, « ce n'est pas le modèle, c'est la peinture. [...] De la couleur étalée sur une toile, c'est réel et, quand on la fait gicler joliment, bien excitant à regarder pour celui qui s'y connaît en 'giclures'. »

Le paysage pictural de Roger Vailland est vaste qui va d'André Masson, la liberté du geste sur le support, jusqu'à Pierre Soulages avec son brou de noix et ses pinceaux de peintre en bâtiment. Il projetait de réaliser avec Soulages un « ouvrage à 4 mains » consacré à Vélasquez, son peintre préféré. « Vélasquez comme figuratif, Soulages comme abstrait » répond-il à un journaliste qui le questionnait sur ses goûts picturaux, « Vélasquez c'est l'autorité, le point le plus élevé de l'autorité en matière de peinture à l'huile, » Vélasquez à qui il fera un petit clin d'œil dans La Truite, son dernier roman.

Références

[1] Daniel Cordier allias Caracalla a écrit aussi une autobiographie de ses années de guerre

Sur Pierre Soulages : voir l'article sur  Soulages

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